La journée internationale des Migrants : La Porte d’Aix rebaptisée par les manifestants

La journée internationale des Migrants : La Porte d’Aix rebaptisée par les manifestants

24-12-2021

A l'occasion de la Journée Internationale des migrants, le 18 décembre, un collectif d'association et de citoyen.ne.s, ont manifesté leur solidarité avec les inculpé.e.s de Riace en baptisant la Porte d'Aix : Place Riace. Une opportunité pour rappeler nos fondamentaux et de témoigner. En voici l'introduction.

Nous commémorons aujourd'hui deux événements : la journée internationale des migrants en souvenir de l'adoption par l'assemblée générale des Nations Unies, le 18 décembre 1990, de la Convention internationale sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille. Elle est actuellement la charte la plus protectrice, mais aucun pays européen ne veut la signer, reconnaissant ainsi qu'ils la bafouent. C'est aussi l'anniversaire de la publication de la Charte Mondiale des Migrants initiée à Marseille, la seule charte ayant été écrite par des personnes migrantes de tous les continents. Les deux mettent l'accent sur le respect des droits fondamentaux, à commencer par la reconnaissance de l'humanité première de ces personnes migrantes.

Chaque année a un accent particulier, et cette année, nous centrons notre célébration sur le « procès de Riace », cette petite ville du sud de l’Italie, devenue « modèle » et symbole probant d’une hospitalité à grande échelle, à l'oeuvre dans une économie « sociale et solidaire » et une politique vraiment participative. Parce qu’elle est une alternative à la xénophobie d’Etat liée aux mafias, elle est attaquée depuis une dizaine d’année et son ancien maire, Domenico Lucano, destitué de ses fonctions, vient d’être condamné à 13 ans de prison, en compagnie de 25 autres membres de son association, dans une parodie de procès éminemment politique.
 

Cela n'est pas au même niveau, bien sûr, mais nous espérions fêter cet événement face à la mairie qui a notamment adhéré à l'ANVITA, l'association des villes et territoires accueillants ; hélas, cela n'a pas été possible. Alors nous avons choisi le haut de la zone piétonne de La Canebière qui est un lieu emblématique de Marseille. Mais la Préfète de Police a interdit toute sorte de manifestation dans tout le grand centre-ville. Des distractions y ont pourtant leur place, mais pas la solidarité ; les valeurs financières ont éclipsé les valeurs éthiques.

Peut-être faudrait-il rappeler que la Bible raconte que Noël est le souvenir de la naissance de Jésus dont la mère a dû accoucher dans une étable, car il n'y avait pas de place pour eux dans les lieu d'accueil, ce qui est le cas pour des milliers de personnes à Marseille dont bon nombre de personnes migrantes, en demande d'asile et réfugiées.

Alors, nous n'avons pas eu d'autre choix que de nous rassembler à la Porte d'Aix qui a été au départ la porte de Marseille-centre. Nous sommes un peu mis à la porte de Marseille. D'ailleurs, au cours des dernières manifestations, nous avons vu que c'était clairement la tendance, comme si les autorités cherchaient à reléguer ce droit fondamental, celui de dire et faire savoir ce que l'on pense.
 

Mais bon, nous pouvons aussi prendre ce lieu comme un double symbole :

  • Nous sommes rassemblés sous l'Arc-de-Triomphe pour nous dire ensemble que notre combat pour une terre sans frontière, une humanité unifiée dans le respect de sa diversité et de tous les êtres vivants qui nous entourent et nous accueillent, finira pas triompher.

  • Par ailleurs, nous rejoindrons, vers 16h30, le musée d'histoire de Marseille pour y voir et discuter du film sur Riace, symbole mondial de l'hospitalité, dans l'espoir et la détermination que cette utopie entre profondément dans l'histoire de Marseille et au-delà bien sûr.

Dans cette perspective, j'aimerais avec vous procéder à un renversement. Dans les médias et les discours politiques, parfois même associatifs, les « migrants » sont uniquement « les autres », les « étrangers », celles et ceux qui viennent d'un ailleurs que l'on ne connaît pas et qui peuvent nous sembler dangereux. D'où la crainte à leur égard.

Pourtant, des travaux de recherche relativement récents, nous enseignent que les hominidés sont devenus des homos sapiens, des humains modernes, grâce à la migration. Autrement dit, l'être humain est une personne migrante par essence. Quand nous parlons des migrants, nous parlons de tous les humains, nous parlons de nous toutes et tous.

Bien sûr, cette journée est d'abord celle des forçats de la migration, de celles et ceux qui se sentent obligés d'aller ailleurs dans l'espoir de vivre dignement, elles, eux et leurs proches. Et nous savons que la plupart sont forcé.e.s de travailler très durement en étant exploité.es et parfois pire. Le Pape François a récemment parlé, à leur égard, « d'esclavage universel ». Alors sans doute serait-il plus juste de les nommer « exilé.es », ce qui signifie « sauter, bondir hors de » ; le mot exil a d'abord signifié « malheur, tourment », ce qui représente en effet une bonne part de la vie de celles et ceux que l'on nomme « migrants ».
 

Cette journée est donc aussi celle de toute la population, car elle est le jour où nous devons nous souvenir et proclamer que l'idéal dans la vie, et le moyen de devenir ce que nous sommes appelés à être, c'est de migrer, c'est-à-dire de bouger, de changer de place, d'aller vers les autres humains et les autres cultures. C'est de bouger dans sa tête, ne pas s'accrocher aux idées toutes faites, et encore moins au passé qui n'est, en fait qu'un ensemble de racines. Et nous savons que les racines ne font pas l'arbre.

Aujourd'hui, dans un contexte indéniable de débâcle climatique, de pandémie directement liée à nos modes de vie prédateurs, de graves instabilités économiques et financières, et de sinistres violences politiques et institutionnelles... et la liste n'est pas close ; en un mot, face à une dérive de civilisation, nous savons plus ou moins consciemment que nous devons changer de route, de mode de vie, de conception de la société, du monde et de la vie.

Nous devons migrer dans nos consciences et nos comportements, nos habitudes.

Alors vilipender, faire souffrir, abandonner les personnes qui migrent, qui fuient toutes les formes de violences, les présenter comme des boucs émissaires, responsables de tous les maux de notre société que nos dirigeants et en partie nous-mêmes, avons créés, tout cela est profondément immoral, inefficace et suicidaire, car si nous ne bougeons pas, si nous ne migrons pas, nous condamnerons à la souffrance et à la mort une grande partie des générations à venir et même des générations présentes.

Le rejet des migrants et migrantes est enraciné dans la peur de l'avenir. Je ne parle pas, bien sûr, de celles et ceux qui manipulent ces peurs pour asseoir leur pouvoir. Alors, plutôt que de se contenter de condamner les xénophobes, celles et ceux qui ont peur des exilé.es et de l'hospitalité, tentons de redonner l'espoir et l'espérance en bâtissant des petits bouts de société accueillante et hospitalière.
 

C'est ce qu'ont fait une grande partie des habitants de Riace, sous la direction de son ancien maire Mimmo Lucano. Ils sont devenus, particulièrement pour la mafia et l'Extrême Droite, les bêtes à abattre, justement parce qu'ils et elles ont montré que l'espoir était possible, que l'utopie d'une société ouverte, multicolore, pluriculturelle et heureuse était réaliste, car ils l'avaient réalisée ; ce qui n'empêche pas des erreurs et des faiblesses, tout simplement parce qu'ils sont humains.

Mais le combat n'est pas fini, car nous sommes là, et nous sommes persuadé.e.s que nous représentons la majeure partie de notre société, de nos sociétés, qui est favorable à l'hospitalité.

Alors, cette journée est une journée de compassion envers les forçats de la migration, une journée de soutien pour leurs luttes, mais aussi une journée d'espérance, d'appel, de provocation (ce qui signifie « appeler pour ») au changement de route, radical, pour bâtir ensemble des sociétés et un monde heureux, basé sur le respect sans limite ni frontière.
 

Jean-Pierre Cavalié pour le collectif